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Acte I, Scène V

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« Ce n’est pas banal »


C’est à peu près ce que je me dis, là, débout comme un con, un joint à la main tandis que je regarde le ciel. C’est fou comme on peut parfois paraître si petit. Je me dis aussi qu’il y a encore quelques mois, je me serais extasié de cette beauté céleste. Aujourd’hui, je ne vois que le monde tel qu’il est. Je me sens aspiré par ces infimes bouts de lumière et en une fraction de seconde, je sens l’attraction des corps éloigner le sol de mes pieds, je sens mes rétines fondre alors que je traverse l’espace pour voir l’immensité de ce qui me semblait si minuscule. Je suis devant une étoile, moi, insignifiant grain de poussière intergalactique. Plus rien ne compte à ce instant, si ce n’est prendre conscience de mon impuissance face à la mécanique de l’Univers. C’est un fait. Quelque soit mes actes, si héroïques soient-ils, si cruels soient-ils, si beaux, si infâme ou si inspirants soient-ils, qu’ils ne marquent que moi, que ma ville, ou qu’ils se fondent dans les histoires et les cultures les plus reculées du monde, pour des siècles, ou des millénaires, aucun ne sera jamais plus qu’un battement d’aile au fond d’une cave.

Assez ridicule de penser ainsi. Je ne vais pas le nier. Les métaphores concernant l’espace ont toujours cet insupportable défaut de donner l’air naïf. C’est une des nombreuses choses qui m’agacent en ce moment. Je ne pourrais pas vraiment l’expliquer, mais il me prend depuis tout récemment de violentes envies de m’égosiller sur le visage frêle de quelques individus afin de leur déverser tout le bien que je pense d’eux. Hélas, il me manque bien de l’entrain et sûrement autant de courage pour me lâcher de la sorte.

J’en suis même venu à penser qu’à trop me retenir, j’en avais fini par devenir un peu fou. On l’est tous en soi. Je ne dis pas cela pour impressionner par ma sagesse, je ne fais qu’exposer ce que j’ai pu comprendre de ma maigre expérience de la vie. A priori, d’un point de vu totalement subjectif, il m’est évident que la plupart des gens que je fréquente ont eu, ont ou auront une attitude qui n’est pas loin de s’apparenter à la folie. J’en suis venu à décider qu’un tel panel était la représentation parfaite de ce que je devais savoir du monde. Tout le monde est fou. Parti de là, il est beaucoup plus facile d’interagir avec ces bestioles.

Et en toute modestie, je pense en être une sacrée, de bestiole. Voilà pourquoi je me désigne comme fou. Parce que tout chez moi est faux, au point que j’en finisse par me dire qu’une aberration du genre ne peut-être que la réalité. Personne ne le voit, je suis le seul à m’en rendre compte, c’est d’ailleurs ce qui m’a d’abord mis la puce à l’oreille : comment, alors que l’évidence de ma fausseté était établie, mon entourage parvenait-il encore à ne pas se rendre compte que quelque chose clochait ? J’ai donc cherché, par mes propres moyens, ceux de mon esprit, la solution à cet inextricable problème. Et la réponse a finit par me frapper. Ce jour là fut très spécial. Je me suis levé, assez tard, comme toujours. Et je n’ai rien fait de bien différent de mes activités habituelles. Rien n’a changé. Pas de nouvelles discussions. Pas de nouvelles rencontres. Pas de surprise, aucun rebondissement. Le calme plat à son paroxysme … Une parodie de calme plat ! Pourtant, ce soir là, juste avant de fermer les yeux, une seconde à peine, si ce n’est moins, rien de plus n’a suffit pour que d’un sursaut je me chuchote : « tu es bien fou mon ami ».

 

La messe était dite, plus de retour en arrière. Mais la folie n’était pas mon seul défaut. Bien au contraire. J’ai fini par comprendre un peu plus chaque jour qui j’étais vraiment, le paradoxe étant que je ne suis toujours pas sûr de le savoir à l’heure actuelle.

 

 

A vrai dire, j’aime me plaindre. La transition n’est pas parfaite, et pourtant elle m’amène dans le sens idéal. Je me torture l’esprit depuis quelques secondes quant à mes mots, ma syntaxe, ma grammaire. Il m’est arrivé le même phénomène après l’écoute d’un titre d’un duo mirobolant dont le nom m’échappe. Encore est-il que la beauté de leurs textes m’angoissaient au point que je ne savais plus comment dire « je t’aime » sans avoir l’air ridicule face à eux. C’est cette impression que j’aimerais effacer. Ce reflux de l’âme qui inexorablement, même pour un court instant, ne peut qu’être découragé par le géni et la puissance de celui qui est en face. Je pense que la force d’un homme heureux est qu’il ne vit que pour satisfaire un idéal qu’il s’est lui-même construit et qui régit sa vie plutôt que l’inverse, de telle sorte que son être entier est dû à sa cause. Ainsi, l’homme qui de pur conscience se serait abandonné à l’art ne verrait plus, n’entendrait plus, que le pouvoir artistique qui se dégage de chaque œuvre. Une sorte d’être inhumain, capable de ressentir les plus simples et les meilleurs des sentiments avec un naturel et un instinct éblouissants. Trop de choses tournent. Comment l’expliquer clairement … Prenez … Un badaud simple, le badaud commun, celui qu’on rencontre au coin de rue, à l’épicerie. Veste rapiécée, jean troué, allure sympathique mais bien ahurie, le décor est planté. Même le plus en vogue des badauds dont la devise serait de ne jamais se soucier de l’opinion d’autrui aurait, consciemment ou non, un certain a priori à subir les regards insultants. L’être dont je parle n’aurait même pas eu à anticiper ces regards, en vérité, il n’aurait même pas émis l’hypothèse que certaines personnes puissent vouloir le regarder à cause de ses vêtements, qui d’ailleurs, sont très confortables, et dont la couleur est ravissante. L’exemple semble réducteur, mais il s’agirait en fait d’une bulle. Un état de l’esprit où la plénitude de l’âme est telle que le superflu n’est pas supprimé, il n’est même pas envisagé. Un tel être ne peut exister. Peut-être certains moines tibétains ont-ils atteint ce stade. Je ne serais pas surpris, quoi qu’un peu jaloux … Personne n’est parfait …

Ces divagations sont là pour dire que cette clarté de l’esprit ou plutôt l’absence de cette clarté me pousse à m’interroger sur mon style, mes phrases. Comme si la magnificence de certains écrits que j’ai pu lire, classiques comme contemporains, l’intelligence cynique des voix-off ce certaines perles du cinéma ou les bouleversants mots de certains paroliers m’envahissaient l’esprit et me lapidaient la boite crânienne à coups de sentences ironiques pour mettre en évidence la pauvreté affligeante de mon vocabulaire. La thérapie du « Vieux sage » consisterait à me répéter jour et nuit que la beauté du geste vient du fait d’écrire comme cela, en laissant venir, sans penser à plaire, à être lu, ou à impressionner, juste pour s’abandonner à son art, se comprendre mieux, se sentir mieux, et vivre mieux avec plénitude … Ce vieux hippie, si seulement …

Mais il est temps ! Il est temps de parler ! Puisque j’ai commencé à écrire, autant que cela serve à quelque chose ! Lui, c’est Patrick. Vous ne le voyez pas, mais dans ma tête, le film commence à ce moment là. Il est un peu patraque. Mais il va bien, on peut dire qu’il est toujours comme ça. Patrick, c’est le mec blasé, ni sympa, ni désagréable, qui s’accommode d’être dans un coin tant qu’il est à l’aise. C’est ce qui se fait de mieux en matière de copain. Ni trop proche, ni trop distant. Je n’aime pas l’idée du statu quo, je me dis que c’est trop cruel pour qu’on puisse en parler en toute décontraction. Le statu quo, c’est un peu la vie. Le même battement stellaire, qui passe, et ne change rien. Quand on y pense, si on ne s’appelle pas Martin, Rosa, Malcolm, Nelson, Abraham, alors on ne vit pas plus de 150 ans, et encore ! Bien sûr que c’est faux … Mais c’est quand même un peu vrai … Alors non, je ne parlerai pas de statu quo. Mais disons que Patrick est homme avec qui il faut avoir une relation qui ne change pas. Si elle régresse, tu le perds de vu, si elle évolue …
 

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