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Le monde est mort quand je suis né
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            Et c’est alors que la Terre cessa de tourner rond.

 

            Se remémorer sa naissance n’est pas chose aisée. Certains génies, dit-on, possèdent une mémoire à ce point performante qu’ils sont capables de se souvenir d’événements ayant eu lieu dans les bas-fonds de leur enfance. Cela n’est pas mon cas. Pourtant, je crois savoir ce que j’ai pensé lorsque je suis né. Beaucoup m’assureront qu’il n’en est rien, que je divague, mais il me semble me connaitre mieux que quiconque.

            C’était un vendredi, il faisait chaud. Probablement. C’était un vendredi, disais-je, du mois d’Aout de l’année de ma naissance. Je la tairai pour la simple raison qu’ayant vécu trop longtemps, sûrement, je ne la connais plus. Le fait est qu’à ce moment là, en venant au monde, j’ai très certainement pensé ceci : « quelle planète effroyable ». Et pour cause ! Je venais d’entrer dans un cimetière. Ce cimetière, je l’avais construit à l’instant même où j’étais sorti du ventre de ma mère. Pourquoi ? Car je suis un meurtrier, le plus « grand », si je puis dire, de mon temps, voire de mon siècle, voire de l’histoire. Je n’en suis pas fier ! Mais je n’y peux rien.

            Le plus cocasse dans cette histoire, que je vais conter, est que je suis la personne la plus inoffensive au monde. Ne parlez à personne de mes propos, on vous mentirait.

 

            Je commençai à vivre vraiment à 5 ans. Les premières années de ma vie ne furent pas bien passionnantes. A vrai dire, je pense pouvoir affirmer qu’elles n’ont pas participé à forger l’homme que je suis aujourd’hui. Etre un enfant en bas-âge est tout ce qu’il y a de plus insupportable : on est bêtes, lents et dépendants. Avoir été capable de survivre à cette période est plus dû à un travail constant et méthodique effectué par mon entourage qu’à mes capacités propres. L’enfance, c’est le moment où on ne sait rien, et où on s’en fiche. Or, aujourd’hui, et depuis mon adolescence, je ne peux supporter d’être considéré comme un béotien. La preuve en est que je n’ai rien à voir avec cette période détestable.

 

            A 10 ans, je compris que l’amour faisait mal. Pour avoir mis tant d’années à comprendre une chose aussi élémentaire, je décidai que j’étais idiot.

 

            Alors que ma relation avec mes parents avait était jusque là des plus cordiales, je commençai vers 12 ans à me rebeller. Me plier aux désirs d’autrui, mes géniteurs inclus, me débectais au point de développer un esprit de contradiction digne des plus grands nihilistes. Mon esprit critique, lui aussi, montra le bout de son nez. A 12 ans, on pense savoir. Souvent, on se trompe, mais ne pas nous croire revient à nous insulter des pires injures. Ainsi, je décrétais qu’il n’y avait aucune raison logique pour que mon attachement à ma famille atteigne le niveau de ridicule que je pensais déceler chez les autres. D’un point de vu philosophique, et je continue de le penser, la famille est la sphère qui entoure, protège, et prépare l’enfant pour qu’une fois la majorité atteinte, il puisse se débrouiller et choisir son propre chemin. L’affection que nous portons à notre famille est plus une question d’habitude. Ma potentielle liberté d’aimer me fit grand bien. J’entrepris de me remettre de mes premiers déboires amoureux, et je pus en toute liberté toiser chaque personne qui entrait dans ma vie pour ensuite disserter avec moi-même sur les raisons qui pourraient ou non me pousser à dire que j’aimais ces gens.

 

            En plus de mon apprentissage sentimental, je me forgeai, peu à peu, au fil des années, des convictions qui m’habitent encore à l’heure actuelle. Je me mis à détester les pseudo-savants qui haranguaient les foules à coup de Cogito ergo sum sans jamais avoir étudié le latin. Plutôt que de dire que je pensais, je me contentais de penser. Je compris que la mentalité de chacun à toujours quelque chose de précieux, celle du plus ignare des ignares autant que celle d’un président. S’il fallait vendre des millions d’œuvres et gagner un prix Nobel pour avoir le droit de vomir des sentences et des citations à chaque fin de phrase, ce monde n’était pas pour moi. Et j’aime à me dire que rien n'arrive par hasard : si l’on nait dans un monde, c’est que d’une façon ou d’une autre, il est fait pour nous.

            Je me diplômai donc philosophe, poète, écrivain, artiste, et même mécanicien. Rien ne pouvait arrêter mon imagination et mes réflexions. Je décidai que la justice devait sévir partout, et non pas seulement pour les plus grands. Je pensai que les légumes n’étaient pas à mon goût, que le théâtre était le plus bel art au monde, que la musique commercial n’était en réalité qu’un appât pour les simples d’esprit, que les gens romantiques étaient malheureusement aussi naïfs qu’ils étaient doux, et que la naïveté avait quelque chose de regrettable en ce sens où c’est une preuve de confiance que l’on bafoue avec un peu trop de facilité. Je me montrais gentil avec le plus grand nombre, car être de mauvaise humeur me prenait beaucoup trop d’énergie. J’écoutais en classe, non par intérêt, même si souvent j’étais très intéressé, d’autant plus par les matières littéraires, mais pour assimiler plus rapidement les informations et ainsi pouvoir m’adonner à l’oisiveté la plus totale une fois rentré chez moi. La procrastination devint l’un de mes passe-temps privilégiés et je pris une carte de membre au parti du moindre effort.  Enfin, lorsque je me rendis compte que l’attirance que j’éprouvais pour les femmes n’était pas bien différente de celle que je ressentais pour les hommes, je me mis à écrire un peu partout avec mon stylo à plume premier prix des slogans pour la tolérance, la fierté des bisexuels ou d’autres inepties.

            Cette découverte sur moi-même m’ouvrit un large panel de possibilités nouvelles. Je m’intéressai aux débats sur les homosexuels, les hétérosexuels, et ceux, comme moi, que j’ai (trop) souvent entendu être qualifiés de « personnes un peu folles qui couchent avec n’importe qui ». C’est d’ailleurs à cette époque que commença ce qui me mènerait au crime horrible dont je parlais plus tôt.

 

            En effet, mon entrée à l’université fut le déclencheur des plus vilaines choses dans ma vie. La perspective d’une vie différente de l’ancienne m’avait enchanté durant mes dernières années du lycée. Pourtant, ce palier atteint, je me retrouvai à vivre une existence dont la monotonie n’avait d’égal que mon ennui. La solitude me prit à la gorge. Je commençai par m’éloigner de mes amis qui d’ailleurs s’étaient éparpillés un peu partout dans le pays pour poursuivre leurs études dans les plus grands établissements. Peut-être mon maque d’ambition est-il la cause de mes malheurs … Rester dans un cadre connu et se contenter d’étudier afin de devenir un petit professeur parmi tant d’autres n’a rien de très brave, selon certains. Je suis d’un avis divergent. Mais une nouvelle fois, les lois et les règles que je m’imposais à moi-même n’étaient pas comprises par les gens sans sensibilité.

 

             La solitude est un gouffre d’où on ne sort que pour vivre. Autrement, on s’enfonce, chaque jour un peu plus dans la misère de notre propre condition. Il s’agit d’un sentiment des plus étranges. Être seul, c’est avant tout avoir le temps de ne rien faire. Et lorsqu’on ne fait rien, aussi fou que cela puisse paraître, la majorité des gens que je connais se contente de penser. Dans ce cas précis, penser est un fléau. Je ne doute pas une seconde que les plus grands tyrans de l’histoire se sentaient plus seuls que l’univers. Penser sans personne autour de soi, c’est prendre le risque de se tromper, et de ne pas être corriger. La différence entre cet état de la solitude et être têtu, c’est que lorsqu’on ne veut écouter les arguments d’autrui, on ne peut cependant pas s’empêcher de les entendre. On réfléchit alors différemment, que cela soit voulu ou non, et quand finalement on prend intérieurement conscience de nos erreurs, nous sommes libre de l’accepter ou, par amour propre, de continuer à clamer haut et fort que l’on a raison, tout en sachant que c’est faux. La solitude ne permet pas cette mauvaise foi. Lorsqu’on est seul, on cogite sans jamais rencontrer d’autres avis. C’est la graine qui permet de divaguer.

            Je divaguai donc. J’en vins à la conclusion que la vie était triste, maussade. Je pris les caractéristiques de la vie. Mieux : je devins la vie. Et le principe même de la vie est qu’elle se termine, un jour ou l’autre. J’entrepris donc mon œuvre funeste.

 

            Cela me fait penser à la littérature. La vie est un livre, en un sens. Un roman peut être beau, déchirant ou passionnant, mais dès lors que l’on débute l’œuvre on sait, inévitablement, indubitablement, que l’on devra un jour la fermer, ayant finit de lire ce que l’on avait à lire. Je le comprenais déjà à l’époque, mais ce fut tellement plus clair quelques années plus tard, lorsque je vis les conséquences de mes actions … Ce que j’ai fait en ce temps, jeune et ignorant, je ne l’ai jamais regretté. Ce que j’ai regretté, c’est plutôt la frustration qu’ont du ressentir les familles de mes victimes, comme s’ils n’avaient pu terminer l’histoire qu’ils lisaient avant qu’un monstre comme moi ne leur arrache le livre des mains.

            Ce que j’écris aujourd’hui n’est pas une lettre d’excuses, mais d’explications. Je pense que quiconque la lira, voyant mon nom en signature, saura de quoi il s’agit. La majorité des personnes n’oseront peut-être pas poser les yeux dessus, et je le comprends. Après tout, le monde entier, maintenant, me craint, et ce sans jamais m’avoir réellement connu, si ce n’est peut-être ceux qui ont péri par ma faute.

 

            Devant les informations, il y a quelque jour, en entendant le nombre de morts que j’avais engendré, je me remémorai le plan que j’avais étudié avec attention à l'époque. La journaliste, anxieuse et tendue, seule devant la caméra, les mains tremblante, sembla frémir un peu plus encore lorsqu’elle énonça le chiffre fatidique. Je repensai à mes attentes, aux idées qui avaient fusé dans mon esprit alors que je m’adonnais au mal. A cet instant, je ne pensais pas, loin de là, être sur le point de créer un tel cataclysme. J’avais 19 ans, et je condamnais plus de personnes que certains dictateurs n’ont pu le faire en plusieurs décennies de terreur.

 

            Je revis également le regard innocent et plein de pitié que m’avait jeté cet enfant, il y a maintenant une vingtaine d’année, tandis que je marchais, seul, dans la rue. Les passants (cela m’arrive encore, même si après avoir déménagé une demi-douzaine de fois, je suis parvenu à trouver un endroit sur Terre suffisamment isolé pour ne pas avoir à croiser trop de monde) fuyaient à ma vue. Certains s’évanouissaient, d’autres pleuraient, paralysés par la peur. Je me souviens de ces trois hommes courant vers moi, afin d’aider une femme tombée dans les pommes à s’éloigner de moi le plus rapidement possible. C’est à cet instant que je m’étais arrêté, abasourdi par tant de frayeur, et que j’avais vu, caché entre la porte d’un des immeubles à ma droite et un muret qui lui permettait de se recroqueviller dans la pénombre, un jeune garçon, reniflant le moins bruyamment possible pour que je ne l’entendisse pas. Lorsque je lui avais soufflé qu’il n’avait rien à craindre, et que je n’étais pas dangereux, il s’était soudain levé, était sorti de sa cachette à toute vitesse et s’était mis à courir dans le sens opposé duquel je venais. Je n’avais eu le temps d’apercevoir que ses yeux, brillants et décontenancés. Cette vision me perturbe encore, certaines nuits.

 

            Ce qui m’attriste le plus est que je n’ai jamais eu de sang sur les mains, sinon sur mon âme. La littérature est mon plus grand trésor, et c’est pourtant elle qui m’a permis de faire tant d’horreurs … C’est mon second et mon dernier regrets. Pourtant, ce regret est tinté d’une certaines fierté, d’une admiration qui ne s’est sûrement jamais vue sur la planète. Le pouvoir des mots est le pire des dangers. Avoir pu trouver le génie pour en user est pour moi une source de bien-être dont jamais je ne me lasserai.

            Aux millions de victimes, qui périrent par ma faute, sachez qu’à défaut de vivre plus, vous aurez fait vivre ma légende. Aujourd’hui, marié, père, vieux et heureux, je ne peux plus me rendre compte de ce que je ressentais à l’époque. Je n’ai pas envie de me souvenir de ces sensations.

 

            Aujourd’hui, je suis heureux.

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