La Fabrique
de Sponge
Tragédie
Sénat. Trois sénateurs discutent, trois gardes non loin.
Sénateur
Convoqués par une pauvresse de métèque
Nous voici dans une bien sale expectative...
Je m’en viens droit des termes, mon corps est déjà sec
Donc cette pause se doit d’être productive…
Une femme fait irruption.
Femme
La jolie reine la pauvre a perdu ses plumes
Son flan décharné la titillant sous la brise
Brise qui change la goutte de d’eau en écume :
Une caresse ; une brûlure, et qu’on attise.
Voyez ! La nature même veut me saigner
M’écharper dans un coin ou me pendre en public
Etendre mes tripes ou saboter mes pensées
Qu'on m'admire gésir au sol, seule, hystérique.
Thanatos me toise, ses attentes sont nuptiales.
Eros me voit anxieuse et le vil s’en régale !
C’est la conspiration d’un monde contre une âme
Qu'il faut à l'évidence accabler d'un grand dam !
Sans doute la plèbe verra-t-elle ces mots
Comme une logorrhée d'une veuve flétrie
Peinte comme celles de drames ancestraux
Qui, meurtries, passent le temps maudissant la vie,
Même Zeus me veut du mal ! Et puis même Héra !
Sénateur
Mais qu'elle se taise ou fasse montre de sens !
Un colloque impromptu pour subir sa démence ?
Femme
Sénateurs ! Je m’épands pour montrer mon émoi !
Je laisse rugir mon cœur à vif et en sang
Après qu’on ait ôté la vie de mon enfant !
Vous pouvez voir l’eau qui jaillit, trempe mes yeux :
Évoquer ce bambin détruit bien mon humeur.
Mes sanglots prouvent la cruauté de nos Dieux
Et de la liesse qu’ils sentent à tordre mon cœur !
Sénateur
Une mère venant pleurer son fils Guerrier ?
Ce en plein Sénat ? Tout ceci est une farce !
Le sel sur ses joues ne fait que déshonorer
Un esprit vaillant qui repose auprès de Mars !
Femme
Vous me parlez de ce que vous pensez savoir
Mais aucun de mes fils ne périt par le fer
Ou il eût fallu qu’ils vécussent d’une part,
Et qu’ils héritassent de la folie guerrière !
Je fais là le deuil de mon pauvre tout petit
Je m’effondre à l’idée de ce qu’il eût pu être,
Je regrette ces jours où il n’a pas souri
Des diables ayant nié mon droit à le voir naître …
Je ne suis point fertile ! Je suis le sable noir…
Rugueux, morne et sombre, aux allures de charbon.
La chair me fuit, ainsi que l’amour et l’espoir
Les plantes se moquent de mon corps infécond !
La poussière jonchant le sol, je suis comme elle,
Nous attendons que le vent vienne, nous éparpille,
La brise passée, je n’ai plus rien d’une fille,
Cadavre articulé de cent milles ficelles.
A ces mots mes pores se regorgent de larmes,
Une fresque de peaux qui se meurt devant vous.
J'implore envoûtements, sortilèges et charmes
Pour qu'on comble mon vœux de m'isoler de tout !
A votre ceinture ce glaive pourrait faire
Bien plus qu’un don ou une aumône bienveillante,
Il tairait la Harpie qui rêve de se taire,
Noierait la sirène qui haït être charmante,
Laisserait Hermès se balader sans courir
Ou rendrait des yeux à ce pauvre Tirésias.
Il aiderait Achille à vaincre sans périr
Ou laisser la guerre pour vivre de la chasse.
Ce glaive – sortez-le ! – a la force d'un déluge
Son rôle est de purger, et tout ce qui doit l’être,
Fendre et détruire à la façon d’un démiurge,
Le sol laissé pour de nouveaux bourgeons à naître.
Sénateur
Garde ! il suffit ! Rangez sur l’instant cette épée !
Béotien de bretteur ! Il s'est fait abusé !
Femme
Las ! Finies mes angoisses, et la mélancolie !
Je m’en vais retrouver les bras de mon mari
Peut-être sur les Champs donnerai-je la vie
Et nous nous sourirons, moi et puis la nature
Je profiterai de chaque jour, chaque nuit
Et d'un repos final depuis ma sépulture !
Tranche, guerrier, comme le centurion l’a appris,
Mire ma défiance qui mérite la mort,
Car à n’en pas douter j'ai le genre d’esprit
Qui brûlera Rome à moins qu’on scelle son sort !
La femme se jette sur l’arme tendue du soldat.
Fin