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Tirade

 

Place du Forum.

Un jeune homme est sur l’échafaud, les mains ferrées, la corde au cou, le bourreau non loin.

Sur l’estrade, le Roi, la main levée, la Reine, la Princesse et sa gouvernante toutes deux en pleurs et un page le regardent.

Cris de foule.

 

 

Jeune Homme

 

 

 

Et ainsi me voilà enchaîné à vos pieds,

Mon esprit voguant dans les limbes et le froid,

Las de sentir en son pauvre corps lacéré,

Les échos provenant du sommet du beffroi.

Ils annoncent, vainqueurs, la glorieuse capture

Du scélérat qui de vos mots fut condamné

Pour quelques errances nocturnes en vos murs,

A l’affut, dites-vous, de trésors à voler.

Ma langue surprise devant vos fantassins

Ne put dans l’instant se délier à vos bons hommes,

D'abord battu et lié, on me prit en chemin

Pour une sombre mort, guettant sur le forum.

Et ce n’est qu’à peine retenu de tomber

Par ces frêles planches de bois très bientôt mues

Que je m’exprime dans un langage conçu

Pour vous éclaircir sur mes vraies activités.

Loin de moi l’envie de douter de votre altesse,

Ou de blâmer en sus le zèle de vos gens,

Mais il semble opportun de parier une pièce

Sur une chance de vous voir être clément !

Pour ce sachez, avant de me traiter en couard,

Que mes desseins n’étaient pas emplis d’avarice,

Sinon de passions vives et sacrément bizarres,

Que je ne saurais pas décrire, mais destructrices.

Mais puisqu’il en va de ma vie dans cette histoire,

Laissez-moi tout de même essayer de vous dire,

Ce, pour chasser de vos yeux la méprisante ire,

Comment cet incendie vif brûle à mon égard.

C’est un feu, comme dit, qui d’abord me toucha,

Réchauffant tout mon cœur jusqu’à sonner le glas,

D’un intérêt pugnace, pour la belle, pour ses yeux,

Pour son teint pâle, pour le soleil dans ses cheveux.

Sa voix me parvenait, claire comme la mienne,

Quoiqu’un voile d’or la couvrait, lisse et soyeux,

Quand mes mots, eux, parfois brutes, trouvent avec peine

Des oreilles aux aguets de tout ce que je veux.

Et c’est alors que mille ans passèrent, au moins cent,

Car c’est le temps, d’après moi, qu’il faut pour saisir,

Les subtilités de son tout nouvel amant

Comme elle parvenait à les vites ressentir !

Elle me lisait, seigneur, oui, tel un livre ouvert,

Et « lire » est un grand mot : elle me connaissait tant

Que par trois fois elle put voir parfaitement clair

Lorsque je tentai de lui nier mes sentiments.

Chaque tentative échouée, et baisant mon front,

Elle nourrit mes folles flammes d’huile, de charbon.

Puis vint le temps où à mes yeux elle se perdit,

Sans qu’autre trace qu’un nom ne me soit laissé !

Comprenez, mon Roi, la tourmente qui me prit

Constatant, meurtri, que je n’étais plus entier !

Car sans ma douce, mes nuits ne sont que cauchemars,

Et mes jours terminent déjà juste à l’éveil.

Ainsi je ne suis à peine que plus d’un quart

De ce que je devrais et je crains que pareil

Maux ne viennent ternir la beauté olympienne

De celle qui dans mon royaume serait Reine !

Mais ne pensez pas que mon but est de ruser,

Et cette logique prouve de mon innocence :

L’astre, sujet de ma quête, est maintenant trouvé,

Je n’en pâtis plus des méfaits de son absence !

La félicité d’un homme à peine vivant

Doit vous assurer de la force de mes mots :

Parti chercher la vie dans la peur du néant,

C’est la mort qui m’offre ce qu’il y a de plus beau !

A quelques pieds de moi je peux voir dans ses larmes

L’élégante douceur qui habite ses joues :

Je bénis pour toutes nos années tous les charmes

Poussant ces amours à se jouer si bien de nous !

Car je pourrais même mourir cent fois encore,

Jamais mon château ne saurait être conquis,

Puisque j’ai un pouvoir que ne donne pas l’or,

Celui de ne périr, ce tant que toi tu vis !

 

Le roi baisse le bras.

 

Rideau.

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